I. Les métaphores de l'état psychique de Nina

 

 

1.1. Le rêve de Nina

 

Dès la première scène du film, les ingrédients et le dénouement dramatique de l'histoire de Nina sont visibles grâce au rêve nocturne qu'elle fait.

Nina pense rêver au rôle qu'elle souhaite tant obtenir dans la prochaine édition du Lac des Cygnes : celui d'Odette/Odile. Son inconscient utilise en fait les restes diurnes de ses préoccupations conscientes pour faire passer un avertissement autrement plus profond : le réveil et la prise de pouvoir annoncée de son pulsionnel jusqu'ici refoulé.

 

En effet, elle danse vêtue d'un long tutu blanc romantique, qui pourrait représenter sa personnalité actuelle (son faux-self aspirant à la perfection) ; quand un homme arrive. Cet arrivée s'apparenterait à l'éveil de ses pulsions sexuelles (représentées par l'histoire pressentie entre cet homme et cette femme) et agressives (représentées par l'homme, en lui-même, notamment lorsqu'il se transforme en bête).

 

Cette bête fait de Nina son jouet, elle prend le contrôle sur elle car Nina n'a pas les moyens de résister à ce sort puissant. Ici, on pourrait lire la subpersonnalité obscure refoulée de Nina (composée de tout le pulsionnel refusé) qui trouve enfin l'occasion de s'exprimer. Cette subpersonnalité ayant été tellement interdite d'expression, elle n'a pas pu se « décharger » au fur et à mesure de la vie de Nina. Ainsi elle est devenue diabolique et destructrice (alors que, comme nous le verrons plus tard, cette subpersonnalité serait également nécessaire à l'établissement de frontières saines avec sa mère, et ainsi gagner en autonomie).

 

Dans la fin du rêve, Nina, transformée en cygne, avance seule, vers une lumière blanche en agitant les bras comme lors de la scène de la mort du cygne blanc (Odette) à la fin du film. On pourrait alors y voir la mort de Nina qui n'a pas pu intégrer cette subpersonnalité obscure (son Ombre, au sens jungien) à son Moi. Au lieu d'intégration, c'est une lutte à mort entre la personnalité dominante de Nina (partie blanche) et la subpersonnalité refusée (partie noire) – combat auquel nous assistons en regardant le film.

 

 

1.2. La statue

 

Une autre scène est représentative de ce moment de transformation dans le vie de Nina : après la soirée d'annonce de la nouvelle saison de la compagnie, elle attend Thomas et, est intriguée par une statue. Elle est noire mais porte un masque blanc, elle a forme humaine mais avec des ailes. Cette statue est une métaphore de l'état psychique dans lequel est Nina à cet instant : son rôle de cygne ouvre (ou agrandit) la brèche dans son faux-self normosé blanc (son masque social) qui laisse apparaître sa subpersonnalité obscure.

 

 

1.3. Le discours de Thomas

 

Après avoir rendu visite à Beth (l'ancienne danseuse étoile de la compagnie qui a eu un accident) à l'hôpital, Thomas (directeur de la compagnie) et Nina évoquent Beth. Thomas dit : « tout ce qu'elle fait répond à une pulsion noire, c'est ce qui la rend si spectaculaire, si dangereuse jusqu'à la perfection..... et si destructrice. C'est ton tour maintenant ! ».

A un niveau superficiel, on entend un discours de motivation à l'attention de Nina « c'est à toi de briller maintenant » ; mais sur un niveau profond, c'est comme s'il autorisait Nina à laisser sortir sa partie noire « c'est Son tour maintenant », en lui donnant un argument qui va séduire sa partie blanche (faux self) en quête de perfection.

Et la fin de la phrase « ...et si destructrice » annonce la mort à laquelle va la conduire cette quête de perfection une fois sa partie sombre libérée.

 

 

1.4. Lily-la-noire étouffe Nina-la-blanche

 

Après leur soirée ensemble, Nina rentre avec (pense rentrer avec) Lily (une autre danseuse de la compagnie) et elles font l'amour. Lily prend alors un coussin et étouffe Nina. A nouveau, on observe les prémices de la fin dramatique de la lutte entre ses deux subpersonnalités.

En effet, tout au long du film, Lily représente l'aisance avec la sensualité, la liberté de la spontanéité ; en somme, l'opposée de Nina, toute en tension et contrôle. Lily devient l'objet des projections de la partie refusée de Nina, ainsi que le support de ses hallucinations.

Et ceci est particulièrement marqué par la manières dont elles sont habillées : Nina en blanc et rose et Lily en noir, puis au cours du film – au fur et à mesure de la progression de la partie pulsionnelle de Nina, elle intègre du gris et du noir à sa tenue.

 

 

1.5. Le rôle de la reine des cygnes (Odette /Odile)

 

Ce qui rend la situation aussi dramatique est la collusion entre le psychisme de Nina fragilisé par l'émergence du pulsionnel refoulé et le double rôle qu'elle interprète : danser à la fois le cygne blanc (Odette) et le cygne noir (Odile, fille de Rothbart, le sorcier qui a jeté le sort à Odette, qui la laisse cygne la journée).

Cette réalité qui rencontre son intrapsychique ouvre encore plus grand la brèche dans le Moi de Nina (puisque d'un certaine manière elle travaille activement à retrouver ce pulsionnel, afin d'interpréter à la perfection son rôle de cygne noir).

Ça augmente également la confusion entre fantasmes, hallucinations et réalité.

Nina perd ses repères à l'intérieur d'elle-même au moment où elle ne peut plus s'appuyer sur ses repères extérieurs non plus : elle se détache de sa mère et ne peut pas dire non plus que quelque chose ne va pas à quiconque de la compagnie de peur de perdre son rôle.