VI. Le cadre protecteur de la Psychanalyse Rêve Éveillé

 

6.1. Permission, Protection, Puissance

 

Si l'on se réfère à la triade des 3P : Permission, Protection, Puissance, on voit que Nina obtient la permission d'exprimer son pulsionnel (via Thomas qui lui confie le rôle). La puissance est déjà plus cahotique, puisqu'en effet Thomas reste à sa place de directeur de la compagnie mais la puissance portée par la mère et Beth, elle, est mise à mal car Nina a le sentiment de les avoir détruites en accédant au rôle.

Enfin, la protection n'est pas du tout assurée, puisque rien ne l'aide à contenir ses fantasmes et hallucinations.

 

On pourrait imaginer que si Nina avait eu un lieu pour exprimer en toute sécurité sa partie noire, son épisode psychotique aurait pu peut-être être contenu et avoir un dénouement moins tragique.

 

 

6.2. Coïncidentia oppositorum

 

Nous l'avons déjà évoqué au début de cet article, mais cette suberpersonnalité refoulée qui s'exprime a des composantes positives : mettre en place une frontière fonctionnelle entre sa mère et elle, devenir autonome, accéder à sa puissance féminine, se relier à son corps....

Pour qu'elle puisse l'intégrer à sa juste place sans lutter contre (ce qui a provoqué une contre-offensive encore plus puissante de la partie refoulée, qui est fatale à Nina), il aurait fallu qu'elle puisse co-exister un certain temps avec.

Comme l'explique Carl Jung, la résolution d'un conflit psychique se fait par la « coïncidentia oppositorum » : le fait de contenir en soi des opposés suffisamment longtemps, sans laisser l'un des deux pôles prendre l'ascendant. Au bout d'un moment, le psychisme trouve une voie de résolution en intégrant ces 2 parties au sein d'une nouvelle organisation psychique.

Cependant, Nina ne pouvait pas supporter cette expérience puisqu'elle était seule avec et l'angoisse provoquée trop forte.

 

 

6.3. Le psychanalyste comme Moi auxiliaire

 

Le psychanalyste a un moment de la cure « prête » une partie de son psychisme à ses patients (comme le fait la mère lors des premiers temps de vie de son bébé, ce que Winnicott a théorisé sous le concept de préoccupation maternelle primaire).

En effet, lorsque le patient recontacte des vécus douloureux et incompréhensibles, cela peut être très affolant pour lui, il a peur de devenir fou.

A ce moment-là, le rôle du psychanalyste est primordial car il va d'une part, normaliser ce qui se passe pour le patient en le recadrant dans sa perspective d'évolution, et d'autre part, va aider à contenir tous ces vécus le temps que le patient reconstruise un nouveau Moi capable de les contenir. Pendant ce temps, on peut dire que le psychanalyste sert de Moi auxiliaire au patient.

Cette étape intermédiaire de la cure permet d'abaisser l'angoisse du patient quant à son intériorité. Ainsi le patient peut se concentrer sur son travail dans sa thérapie, qu'il sait utile et normal même si ça secoue.

 

Dans le cas de Nina, cette phase de détoxication de ses vécus n'a pas lieu. Elle est aux prises, à la fois avec son intériorité en elle-même et, à la fois avec toute l'angoisse et les doutes sur la réalité, générés par cette émergence d'une partie refoulée.

 

 

6.4. La double enveloppe protectrice de la psychanalyse rêve éveillé

 

Le rêve éveillé pratiqué dans un cadre psychanalytique permet au patient de faire une expérience qui pourrait être qualifiée de délire onirique si elle n'était pas contenue dans l'espace de la cure.

Le patient est protégé par un premier contenant qui est la cadre de la séance en lui-même, mais aussi par une seconde enveloppe qui s'insère dans ce premier cadre. En effet, un rêve éveillé n'occupant pas toute la séance, le psychanalyste signifie l'entrée dans cette expérience particulière en baissant la lumière et la rallume à la fin pour en marquer la sortie.

Ainsi protégé par cette double-enveloppe, le patient peut s'autoriser à laisser venir ce qui cherche à se dire de son inconscient, en se sentant en sécurité. Il peut d'autant plus s'autoriser à faire ce mouvement vers lui-même, qu'il ne restera pas seul face à ce rêve éveillé : il sait qu'il pourra le mettre en sens, se l'approprier, accompagné par son psychanalyste.

 

Cette double-enveloppe permet au patient également de faire clairement la différence entre le réel et le rêve éveillé, entre ce qu'il se passe à l'extérieur et ce qu'il ressent à l'intérieur de lui. Et petit à petit, le patient va introjecter ce contenant solide, qui lui permettra, après sa cure, d'être capable d'ouvrir la porte à ce qui se dit en lui tout en restant tranquille quant à sa capacité à le contenir (et à ne pas « devenir fou »).

 

Les hallucinations de Nina sont très parlantes puisqu'elles m'ont été utiles dans ma compréhension de ce qui se joue pour elle. J'ai réfléchi à partir d'elles comme on réfléchit à partir des rêves éveillés de patients. C'est ainsi que j'ai pu les mettre en sens (et même voir leur aspects positifs).