III. Relation mère-fille toxique

 

3.1. Une mère infantilisante

 

Les parents toxiques prennent souvent les différences individuelles de leur enfant comme des attaques personnelles et se défendent en renforçant leur incapacité et leur dépendance.

C'est ce que l'on peut observer dès les premières minutes du film de la part de la mère de Nina :

- elle l'habille comme on habille un enfant (« lève les bras » et la mère qui enfile le pull) ;

- ou un peu plus loin quand Nina se déshabille après la soirée de présentation de la nouvelle saison de la compagnie, sa mère est sur elle pour l'aider. Nina tente de se dégager « je peux le faire toute seule », mais sa mère continue comme si elle n'entendait pas ;

- elle la met au lit comme une enfant, lui enlève ses bijoux, remonte sa boîte à musique....

 

Nina est coincée dans cette posture d'enfant : sa chambre ressemble à une chambre de petite fille : dans les tons roses avec des peluches. Sa mère ne veut pas la laisser grandir.

 

 

3.2. Une mère étouffante dans une relation mère-fille fusionnelle

 

Sa mère ne lui laisse pas d'espace pour grandir et devenir adulte. Elle occupe tous les espaces de Nina : professionnel, personnel et même intime.

La scène de masturbation est particulièrement parlante : Nina part à la découverte de son corps et de son plaisir sexuel, alors qu'elle est dans son lit - un espace normalement très intime - et elle s'arrête net quand elle se rend compte que sa mère est endormie tout près d'elle !

 

Peu après cette scène, on se rend comte qu'il n'y a pas de clé dans l'appartement, aucun moyen de soustraire son espace intime au regard de sa mère. Nina est obligé de pousser un coffre pour bloquer la porte de la salle de bain et trouve une barre de fer pour bloquer la porte de sa chambre.

Elle est obligé de faire appel à sa violence (barre de fer) pour établir des frontières avec sa mère et enfin avoir un espace à elle.

Jusqu'à ce moment du film, la subpersonnalité sombre de Nina l'aide à se positionner face à sa mère, elle s'appuie sur sa colère, son envie de vie intime pour poser des limites et s'affirmer. On imagine encore une fois qu'il n'y a pas eu de père dans sa vie, or la fonction du père est d'interdire la fusion mère-enfant, une fois la période de la phase de préoccupation maternelle primaire nécessaire passée. Là, la fusion s'est prolongée jusqu'à l'âge adulte.

 

 

3.3. L'anorexie pour échapper à une mère dévorante

 

On voit Nina se faire vomir à plusieurs reprises. Outre le lien avec le fait d'être danseuse et de vouloir contrôler son poids et son corps à tout prix, il y a peut-être là une tentative de s'affranchir de cette mère dévorante.

Ainsi que l'évoque Dominique Guyomard, l'anorexie peut être une manière de faire rempart contre ce lien fusionnel primaire qui engloutit : assécher son corps pour moins donner à dévorer. On pense d'ailleurs au conte d'Hansel et Gretel où, une fois Hansel emprisonné et nourri par la sorcière dans le but de le manger, il gagne du temps en donnant à tâter à la sorcière aveugle un os au lieu de son doigt. Cette dernière préfère en effet le manger bien dodu et attend pour l'engraisser encore.

 

On voit d'ailleurs dans le film, à quel point la mère gave sa fille de trop d'amour, de trop d'attention avec la scène du gâteau. La mère de Nina a acheté un énorme gâteau plein de crème pour fêter le rôle obtenu par Nina. Nina en le voyant a un haut-le-coeur, mais quand elle tente de refuser d'en prendre, sa mère fait une crise, veut jeter le gâteau à la poubelle.... elle se calme seulement quand Nina accepte de manger le gâteau. Nina n'a pas le droit de refuser le trop.

On peut noter également que sa mère tente de « l'engloutir » avec ce gâteau au moment où Nina commence à prendre de la distance avec elle et où elle obtient le rôle d'étoile qu'elle-même n'a jamais eu....

 

On peut remarquer également que peu après la scène où Nina prend la barre de fer, elle essaie de se faire vomir mais n'y arrive pas. Est-ce parce qu'elle a moins besoin de ce moyen pour se séparer de sa mère, puisqu'elle en a un autre mis en place ?

 

 

3.4. La mère étouffante comme formation réactionnelle

 

Lorsqu'un parent est obsédé par le bien-être de son enfant, le protège de tout ce qui pourrait arriver, devançant ses moindres difficultés, on a souvent affaire à une projection et à un contre-investissement de ses désirs de mort sur son enfant. Ne pouvant les reconnaître en lui, il les projette sur l'extérieur et ainsi peut être uniquement le bon parent qui protège son enfant contre ce monde dangereux (c'est à dire adopter le comportement contraire à sa pulsion d'origine), ce qui tient encore plus à distance ses pulsions violentes.

On peut en effet imaginer que la mère de Nina ait eu des désirs de mort sur sa fille « à cause » de qui elle a dû arrêter sa carrière de danseuse.

 

 

3.5. L'ambivalence de la mère

 

On voit dès le début du film des signes de cette ambivalence, quand par exemple la mère a un discours d'encouragement à l'égard de sa fille et quand, elle la prend dans ses bras (et que Nina ne peut plus voir son visage), elle cesse de sourire et son visage se durcit.

Puis au fur et à mesure de la prise d'indépendance de sa fille et de l'approche de son succès, elle lui met des bâtons dans les roues : elle ne la réveille pas pour aller à une répétition importante, elle essaie de l'empêcher d'aller danser pour la première représentation du ballet. A ce moment, sont présents à la fois une inquiétude sincère de la mère qui voit sa fille partir en morceaux, et à la fois le désir de la garder petite fille dépendante d'elle et de l'empêcher qu'elle la surpasse grâce à ce rôle.

 

 

3.6. La mère = le mauvais objet intériorisé

 

Cette ambivalence a probablement été présente dès les premiers temps de Nina.

En effet, la manière dont un bébé a été nourri a un impact majeur sur sa vie future.

Pour qu'il se développe harmonieusement, 4 paramètres sont nécessaires :

- la présence chez le bébé d'une pulsion d'auto-conservation (le besoin d'être nourri)

- la satisfaction de ce besoin par la mère en donnant le sein ou le biberon (le plaisir d'être nourri qui abaisse la tension de la pulsion, et celui de l'érotisation de la bouche)

- la sensation de plénitude que ressent le bébé une fois qu'il a le ventre plein (son corps lui indique que le moment de tension est fini, qu'il est apaisé)

- la possibilité d'intériorisation et de fusion avec un bon objet (la mère qui le nourrit avec plaisir et qui partage ce plaisir avec l'enfant).

 

Si cela se passe mal, alors le bébé éprouvera la satisfaction de son besoin d'être nourri mais aura un déficit de bon objet interne, voire même une habitation par un mauvais objet interne. Il aura une difficulté à habiter son corps de manière tranquille et un déficit de la perception de sa boussole interne et donc une surcharge du mental et des fantasmes. Enfin, il y aura probablement un clivage entre le corps et le mental et entre le plaisir pulsionnel et corporel, et la satisfaction psychique et relationnelle.

 

Ces conséquences sont observables dans le comportement de Nina, notamment à travers ses mécanismes obsessionnels et ses fantasmes (qui deviennent hallucinatoires).

On peut imaginer que la mère de Nina la nourrissait quand elle avait faim, mais éprouvait plutôt une amertume à propos de ses rêves de carrière brisés par l'arrivée de cet enfant et probablement des sentiments violents et destructeurs à son encontre. Ainsi Nina a eu affaire à l'intériorisation d'un mauvais objet maternel, d'où sa peur de son intérieur et les remparts (obsessionnels) qu'elle érige pour se tenir à distance de cet intérieur. En effet, retrouver cet intérieur équivaudrait à retrouver le mauvais objet.